dimanche 12 avril 2009

Tranche d'histoire des Haïtiens



Quand les héros africains (noirs) débarquaient en Amérique.-



Après une si longue et funeste traversée transatlantique, les nègres, enlevés de leur terre natale, débarquaient en Amérique où ils étaient joyeusement reçus. Les grandes tribulations liées à leur voyage étaient peu cruelles comparativement aux souffrances qui les attendaient. Dépendamment de la température de l’ère, on leur offrit à leur arrivée des vêtements décents, conçus dans un tissu de laine grossier bleu ou blanc, fabriqué en Europe, ou des vêtements légers. Aussi accorda-t-on à ces malheureux une aubaine de “bain” devant les mettre prêts à recevoir la visite des hommes et femmes d’affaire de Saint-Domingue, qui se seraient intéressés à eux. Ordinairement leur répartition se faisait par le commissaire – priseur suite à son inspection. En voici un modèle y relatif selon le rapport d’un ancien esclave: les nègres étaient disposés en plusieurs groupes distincts, certains individuellement et d’autres par groupe de quinze ou vingt. Ceux qui avaient été mis séparément devaient être vendus comme domestiques en ville et avaient été choisis parmi les plus jeunes et parmi ceux qui avaient l’air très intelligent. Les groupes plus nombreux étaient destinés à la campagne, c’est-à-dire comme “bras de champ”.

Peu de temps après la répartition et l’annonce de vente, des colons blancs des deux sexes se présentaient au lieu indiqué à cet effet. Avec beaucoup de sang froid et une attitude de bons capitalistes, les femmes blanches circulaient entre les divers groupes de Nègres, les examinant et tâtant les membres. Ainsi commença la transaction infâme qui dura longtemps. Les prix varièrent de 250 à 450 dollars par tête. L’activité était tellement lucrative que de nombreuses voix autorisées de l’Europe s’élevaient grandement pour l’encourager. L’intendant des îles du vent, M.Hurson, écrit au Ministre: “Les nègres sont ici, pour la culture des terres, d’une nécessité aussi absolue que la farine pour faire le pain ou la toile pour faire des chemises”. Et un ministre anglais a relaté: “Jamais je ne permettrai que les colonies restreignent ou découragent sous quelque forme que ce soit un commerce aussi avantageux pour la nation.” Le 30 décembre 1762, la chambre du commerce de la Rochelle écrivait au Duc de Choiseul ce qui suit: “…. La traître des noirs est même aujourd’hui, l’unique moyen qui nous reste de réparer les malheurs de la guerre …”

Au moment de la disposition de vente, le commissaire – priseur, accompagné de ses agents, de concert avec le capitaine du négrier, prit le soin d’éviter de concentrer en un seul groupe des africains venant d’une même tribu. Ce, dans le but de les isoler pour contenir toute éventuelle révolte concertée compte tenu des expériences faites avec certaines cargaisons où ils ne manquaient pas de massacrer tous les membres de l’équipage au for de la chaîne.

Les esclaves – une fois vendus après avoir été bien auscultés de la tête aux pieds – n’étaient pas immédiatement affectés au poste. Un espace de temps était alloué pour leur prodiguer des notions de “base” du christianisme avec l’objectif de les faire voir la nécessité de servir sans murmure (ordre divin !). En plus, durant cet intervalle, des rudiments linguistiques leur ont été communiqués pour faciliter le contact. A cette phase, l’esclave ne devait pas être bien traité. On se le rappelle, les Jésuites furent expulsés de Saint-Domingue pour avoir donné un traitement humain aux nègres.

Les pédagogues blancs qui avaient à prendre en charge les esclaves n’étaient autorisés qu’à partager avec eux les portions d’écriture de nature à les tenir dans la soumission. Par exemple, dans le chapitre VI du livre des Ephésiens, il était formellement interdit de considérer le verset 9 qui se lit comme suit: “ Et vous, maîtres, agissez de même à leur égard, et abstenez-vous de menaces, sachant que leur Dieu et le vôtre est dans les cieux, et que devant lui il n’y a point d’acception de personne.” Pourtant, il fallait nécessairement lire les versets 5, 6, 7 et 8 du même chapitre: “Serviteurs, Obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et tremblement, dans la simplicité de votre coeur comme à Christ, non pas seulement sous leurs yeux, comme pour plaire aux hommes, mais comme des serviteurs de Christ, qui font de bon cœur la volonté de Dieu. Servez-les avec empressement, comme servant le Seigneur et non des hommes, sachant que chacun, soit esclave, soit libre, recevra du Seigneur selon ce qu’il aura fait de bien. ”

Servir son maître avec un statut d’esclave est un devoir sacré. Pour ce, on ne devait pas s’y opposer car en agissant ainsi, on ne fait qu’attirer sur soi-même la condamnation divine, dit le prêtre qui s’appuyait sur les deux premiers versets du livre adressé aux Romains dans le chapitre treize (13): Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes”. Aussi, le pédagogue avait pour mission de les faire savoir qu’en dehors du châtiment divin qui leur est réservé s’ils commettent une faute, ils seront punis sévèrement. Lisons les versets 3, 4, et 5 du même chapitre: “Ce n’est pas pour une bonne raison, c’est pour une mauvaise, que les magistrats sont à redouter. Veux-tu ne pas craindre l’autorité? Fais le bien, et tu auras son approbation. Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait mal. Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore pour motif de conscience. ”

Suite au travail minutieux réalisé visant à déshumaniser l’esclave davantage, celui-ci a reçu le baptême, et a été conduit à sa case infernale pour entamer sa pénible vie. Il y a trouvé une structure organisationnelle bien établie contenant en grande partie de la canne pour le bonheur des maîtres et du fouet pour son propre malheur. Ce que Massillon Coicou exprima au nom personnel de l’esclave:
“Dieu m’a condamné, le sort doit me poursuivre
De mes pleurs, de mon sang, il faut que tout s’enivre.”

La vie de l’esclave comptait peu puisqu’en terme de valeur réelle, pour le colon, un nègre ne valait pas mieux qu’un animal. En témoigne la réponse donnée à deux demoiselles, arrivant de la France, se plaignirent de la nudité des jeunes nègres qui servaient à table et des négrillons: “Pourquoi ne demandez-vous pas aussi d’habiller nos vaches, nos mulets et nos chiens.” Les maîtres étaient bien donc prêts à exterminer de la surface de la terre un nègre ou une négresse pour une bête quelconque. Un esclave de l’habitation de Desdunes était contraint d’aller se quereller contre un caïman en vue d’arracher un mouton de sa guêle.

Dans une autobiographie, Marie Prince, une ancienne esclave, a rapporté une tragique scène dont elle était témoin: “La pauvre Hetty, une compagne à moi, était très bonne à mon égard et j’avais pris l’habitude de l’appeler “ma tante”. Mais elle menait une vie extrêmement pénible et sa mort fut hâtée par l’atroce châtiment que lui infligea mon maître pendant sa grossesse. Voilà comment cela arriva. Une des vaches avait arraché sa corde du pieu où Hetty l’avait attachée et s’échappa. Mon maître se mit dans une colère terrible et ordonna que la pauvre créature soit entièrement déshabillée sans tenir compte de sa grossesse, et attachée toute nue à un arbre de la cour. Puis il se mit à la fouetter de toutes ses forces, utilisait à la fois le fouet et le cuir jusqu’à ce qu’elle soit baignée de sang. Il se reposa puis il se remit à la battre à plusieurs reprises. Elle poussait des cris terribles. Il en résulta que la pauvre Hetty accoucha avant terme et après un travail pénible, donna naissance à un enfant mort-né. Elle sembla se rétablir après ses couches à tel point que le maître et la maîtresse la fouettèrent par la suite. Mais elle ne retrouva jamais sa vigueur passée. Sous peu, son corps et ses membres enflèrent énormément et il fallait l’allonger sur une natte dans la cuisine jusqu’à ce que les boursouflures de son corps éclatassent et qu’elle mourût …

Producteur dépourvu de tout moyen de production, l’esclave abruti s’attachait au service d’un propriétaire (blanc ou affranchi) exerçant sur lui le droit de vie et de mort sans bénéficier d’aucun encadrement, il a pu trouver de ses propres ressources naturelles la force morale pour s’engager âprement dans la construction d’une terre qui ne lui a offert rien. Partout le colon s’enrichit à partir d’une main d’œuvre servile qui tendait à disparaître au fur et à mesure sous l’effet des pratiques autoritaristes et impitoyables [du maître].

Eu égard à cette réalité, les colons quelle que soit leur couleur, envisageaient des mesures violentes dont l’objectif était de déconcentrer les travailleurs noirs. Contre ces derniers, et dans le but de maintenir le système esclavagiste, toute forme d’entente était recherchée. Ainsi s’écria Vincent Ogé au club Massiac: “Si l’on ne prend pas les mesures les plus efficaces, si la fermeté, le courage, la constance ne nous unissent pas tous; si nous ne nous réunissons pas vite en faisceau toutes nos lumières, tous nos efforts; si nous sommeillons un instant au bord de l’abîme, frémissons de notre réveil. Voilà nos terres envahies, les objets de notre industrie ravagés, nos foyers incendiés; voilà l’esclave qui lève l’étendard de la révolte. Les îles ne sont qu’un vaste et funeste embrasement, le commerce est anéanti, la France reçoit une plaie mortelle, une multitude d’honnêtes citoyens sont appauvris et ruinés, nous perdons tout.”

En dépit de leur divergence de couleur, les planteurs blancs et affranchis concevaient de la même façon: des machines qui devaient donner des rendements dans un espace de temps très court, pour être enfin jetées hors du camp colonial. Nonobstant cette vision qu’on avait des nègres, grâce à leur travail impayé, Saint-Domingue fournissait la moitié du sucre consommé dans le monde. Au cours de la période allant de 1783 à 1789, 763 des navires laissèrent le port de la partie française de l’île avec 931.171.513 livres de sucre brut et 70.227.708 livres de sucre blanc. A cet égard, les français étaient sans rivaux. Aussi reconnaît-on que, avec le mépris de la vie des noirs, la valeur marchande de Saint-Domingue dépassait largement ce que les autres colonies de la zone, même dans une addition, pouvaient fournir.

Pendant toute la période florissante où Saint-Domingue alimentait à la France du sucre et du coton nécessaires aux filatures. On assistait lamentablement à l’imposition physique et mentale des colons aux dépens des esclaves. En témoignent les conditions matérielles de vie de ces derniers: “A peine les nourrissait-on, sept ou huit patates étaient la ration quotidienne qu’ils recevaient du propriétaire. Beaucoup se levaient la nuit pour marronner les vivres, et lorsqu’ils étaient découverts, ils étaient taillés (fouettés).” A ce sujet Malenfant rapportait: “Que de fois, j’ai vu à l’instant du déjeuner les noirs ne pas avoir une patate et rester sans manger. Cela arrivait sur presque toutes les habitations à sucre lorsque les pièces à vivres ne fournissaient pas suffisamment.” L’esclave était tellement abêti qu’il cautionnait lui-même les traitements qui lui ont été donnés sans s’en rendre compte. “ou bat mwen lè mwen pa travay, mwen bat mule lè li pa mache, se nèg mwen.” Telle a été la déclaration de l’un d’entre les nègres domingois.

Par dessus de toutes les peines déshumanisantes qu’avaient subies les bêtes de somme – les animaux utiles – les esclaves dociles, aucune structure sanitaire n’a été mise en place. Par exemple, pour éviter l’inflammation des plaies et la gangrène, pouvant provenir du sévissement corporel, on les frottait avec du jus de citron, du sel ou du piment. Leur santé a été surtout prise en charge par des nègres et/ou négresses ayant certaines connaissances maîtrisées depuis l’Afrique. Parmi ces auxiliaires de fait, nous retenons les noms de Zénobie et Ursule sa fille chez les Bérard dans l’Artibonite où pratiquement les esclaves étaient plus ou moins traités avec une certaine humanité, et Marie Bouquemment chez les Bossard à Dondon.

En dehors du non-investissement dans le domaine de la santé, certains maîtres, sans l’avoir peut-être su, provoquaient la maladie de leurs serviteurs, en les privant de ce qui leur a été le plus cher: eau. Au sujet de cet élément, Moreau de Saint Méry a pris le soin d’écrire: “la propreté est un des caractères des nègres, et singulièrement des femmes. Elles recherchent l’eau sans cesse, et lors même qu’elles ne sont réduites à n’avoir que des vêtements malpropres, leur corps est fréquemment plongé dans le bain d’une eau vive et courante; a moins qu’elles ne soient forcées de se contenter de l’eau pluviale qu’elles ont recueillie ou que des puits leur donnent.”

L’histoire se souviendra somme toute des noms de Mr Chabannes et de Mr Robert, tous deux chirurgiens de profession, qui prodiguaient si peu dans l’ouest des services médicaux auxquels les esclaves avaient accès pour deux gourdins. Il nous faut en revanche souligner que cette prise en charge, nonobstant les frais versés, coûtait et aux médecins et aux nègres l’humiliation, en ce sens que celle-là n’a pas eu lieu à la manière dont on le faisait aux blancs et qu’elle a réduit le nombre des patients de la catégorie blanche. Car les nègres, rapporte Père Labat, ne sont que des machines dont les ressors ne doivent pas être remontés.







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